






(La version française suit la version anglaise)
In 2020, I did an artist residency at the Musée d’art de Joliette (MAJ), at the invitation of the curator of contemporary art Anne-Marie Saint-Jean Aubre. The possibility of having access to the Museum’s reserves sparked the idea for a parallel project to Matière noire—close to, but different. The fruit of this residency was presented at the MAJ as part of the exhibition Les tableaux réunis [The Reunited Paintings] in the summer of 2021, which also included excerpts from the Matière noire corpus and the Lieux-monuments series
In visiting the rooms of the permanent exhibition at the MAJ, I noticed that the works were grouped together by categories of genre. I therefore thought about searching the database based on these categories. After having juggled with different scenarios, I decided to infiltrate one of the collection rooms by taking down a painting per genre, which I would replace by a work of the exact same dimensions composed of the superimposition, at full size, of all the paintings collected by the MAJ that belong to this genre. The implementation of a different protocol from the one that dictates the steps required to carry out Matière noire has allowed me to obtain other results, which nevertheless foresee the future of Matière noire, a project that has occupied most of my time for several years now. — Read Artist Statement.
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Excerpt from Pre-recorded: a conversation between Martin Désilets and Anne-Marie St-Jean Aubre, Espace art actuel #129 (September 2021)
Anne-Marie St-Jean Aubre The works that you created at MAJ are singular because they are less a showcasing of the collection and more a materialization of its erasure. The same fantasy of totality drives the acquisition gesture and your approach. However, the adding process paradoxically results in an invisibility, it underscores a loss, and I believe that it’s more in this vein that the invitation was of interest to me. Your project makes the paradoxes underlying conservation in museums visible.
Martin Désilets A little earlier, I evoked the feeling of swimming in a sea of paradoxes! Safeguarding and destroying, are certainly among these! Or furthermore, accumulate and make disappear… or no longer seen. One day, a close friend used a magnificent expression to try to describe what I do: “showing the suffering both of no longer seeing, and that of seeing the totality of the experience—making loss into a whole, and from this whole, an imaginary of emptiness.” At the time when I began to work on Matière noire, I recalled this character from Bohumil Hrabal’s Too Loud a Solitude, called Hanta, who lives under a totalitarian regime. His job is to pulp books. He destroys literature and knowledge all the while trying to save them and to save his own humanity. He brings home as many books as he possibly can. There are books everywhere, even above his bed. These books represent a danger to his existence; their weight is such that they could collapse on top of him at any time while he is sleeping. For me, this is a powerful metaphor for the human condition, and maybe for that of the artist.
— VERSION FRANÇAISE —
En 2020, j’ai réalisé une résidence d’artiste au Musée d’art de Joliette (MAJ), à l’invitation de la commissaire de l’art contemporain Anne-Marie Saint-Jean Aubre. La possibilité d’accéder aux réserves du Musée a fait germer en moi l’idée d’un projet parallèle à Matière noire — proche, mais différent. Le fruit de cette résidence a été présenté au MAJ dans le cadre de l’exposition Les tableaux réunis à l’été 2021, qui comprenait également des extraits du corpus Matière noire et de la série Lieux-monuments.
En visitant les salles de la collection permanente du MAJ, j’ai remarqué que les œuvres étaient regroupées par catégories de genre. J’ai donc songé à interroger la base de données de la collection à partir de ces catégories. Après avoir jonglé avec différents scénarios, j’ai décidé d’infiltrer une des salles de la collection en décrochant un tableau par genre, que je remplacerais par une œuvre exactement de la même taille composée de la superposition, à l’échelle réelle, de tous les tableaux collectionnés par le MAJ appartenant à ce genre. La mise en oeuvre d’un protocole différent de celui qui dicte les étapes de réalisation de Matière noire m’a permit d’obtenir des résultats autres, qui laissent cependant entrevoir le devenir de Matière noire, un projet qui occupe l’essentiel de mon temps depuis plusieurs années. — Lire le texte de démarche.
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Extrait de En différé : une conversation entre Martin Désilets et Anne-Marie St-Jean Aubre, Espace art actuel #129 (Septembre 2021)
Anne-Marie St-Jean Aubre Les œuvres que vous avez réalisées au MAJ ont de singulier qu’elles consistent moins en une mise en valeur de la collection qu’en une matérialisation de son effacement. Un même fantasme de totalité anime le geste d’acquisition et votre démarche. Pourtant, l’addition mène paradoxalement à une invisibilité, souligne une perte, et je crois que c’est davantage là que se trouvait l’intérêt de cette invitation pour moi. Votre projet rend visibles les paradoxes qui sous-tendent l’action de préservation des musées.
Martin Désilets J’évoquais un peu plus tôt le sentiment de nager dans un océan de paradoxes ! Sauvegarder et détruire, en voilà un ! Ou encore, accumuler et faire disparaitre… ou ne plus voir. Une amie proche a, un jour, utilisé une magnifique formule pour tenter de décrire ce que je fais : « montrer à la fois la souffrance de ne plus pouvoir voir et celle de voir la totalité de l’expérience — faire de la perte un tout, et de ce tout, un imaginaire du vide ». À l’époque où j’ai commencé à travailler sur Matière noire m’est revenu à la mémoire ce personnage d’Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal, nommé Hanta, qui vit sous un régime totalitaire. Son travail est de pilonner les livres. Il détruit la littérature et le savoir tout en essayant de les sauver et de sauver sa propre humanité. Il rapporte à la maison autant de livres que possible. Il y en a partout, même au-dessus de son lit. Ces livres constituent un péril pour son existence; leur poids est tel qu’ils peuvent à tout moment s’effondrer sur lui durant son sommeil. C’est, pour moi, une puissante métaphore de la condition humaine et peut-être de l’artiste.